Fin mars, il a reçu l’ordre national du mérite. Avant de quitter, début avril, la présidence de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) de Lorraine et du Grand Est. Hervé Bauduin vit tout ça avec émotion, sans regret, heureux d’avoir été de toutes ces aventures. Impatient de connaître la suite de son histoire.
On ne croirait pas comme ça mais c’est un émotif. Et il s’apprête à en prendre une sacrée dose dans les jours qui viennent. Hervé Bauduin, 67 ans, le sait et le savoure. « Tout ça sans émotion, à quoi bon ? », questionne-t-il. « J’apparais comme une personnalité logique, rationnelle. Mais ce n’est pas ce qui me fait avancer. Je dis souvent qu’être bien organisé permet de laisser du temps pour ce qui n’est pas prévu. Il y a des moments pour la raison d’autres où la vague nous emporte. Je peux avoir les larmes aux yeux devant un tableau », confesse le président de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) de Lorraine et du Grand Est.
Le 28 mars, il a reçu l’ordre national du mérite. Une distinction qui, même s’il « ne cherche pas les honneurs », l’ébranle fortement. « Ça donne du sens à l’engagement. On se pose toujours plein de questions. Ai-je bien fait ? Ai-je fait assez ? Cette médaille offre un bout de la réponse. » Un héritage aussi. Qu’il laissera à ses trois enfants et ses presque cinq petits-enfants (deux viendront bientôt au monde). Même s’il n’est pas un homme du passé et des regrets, l’exercice oblige à un retour en arrière, voire même, osons le mot, à un bilan. Le sien nous plonge immanquablement dans l’industrie qui habite sa vie depuis tout petit. À Seclin, dans le Nord de la France, Hervé Bauduin a grandi dans une famille où l’usine était une religion qui s’invitait à tous les repas de famille.Le père, la mère, les oncles, les tantes : ça passait de l’un à l’autre. Un destin ? Hervé Bauduin tique un peu quand on prononce ce mot. « Je me suis plusieurs fois posé cette question. Si j’avais eu autour de moi des gens qui souffraient, je n’aurais pas fait ça. Je n’ai jamais ressenti de mauvaises vibrations. »
À 16 ans, dès qu’il a pu travailler, il a donc pris le chemin de l’usine même si dans ses rêves d’adolescent, ce n’est pas cet univers-là qui le faisait vibrer. « Je voulais être astronome. J’adorais regarder le ciel. Les images du premier homme qui marche sur la lune sont encore gravées en moi. J’avais 12 ans. En première, je suis allé voir mon prof de physiques-chimie pour lui demander ce qu’il fallait faire pour devenir astronome. Il m’a répondu : “Tu fais un bac S, tu vas à l’université, tu obtiens un doctorat en astrophysique et tu attends qu’un astronome meure parce que les places sont chères. Je remercie ce prof de m’avoir donné un avis éclairé », raconte Hervé Bauduin qui n’a donc pas eu la patience d’attendre. Dans la balance d’après, ingénieur cohabite avec prof d’histoire. « Je déteste la routine, j’ai besoin de créer des choses. » C’est décidé. À Lille, il obtient son diplôme d’ingénieur en chimie et commence une carrière sans fausse note où il gravira petit à petit toutes les marches de l’organigramme du monde de l’industrie. D’ingénieur de production à président. D’abord chez Valeo en région parisienne puis à Saint-Étienne, puis chez RVS à Avallon où il reste dix ans, puis chez Case H à Saint-Dizier où il occupe les postes de directeur industriel puis général. Enfin chez Claas en Moselle où il est resté 19 ans avant de prendre sa retraite en 2020. Tout ça, en n’oubliant jamais la base de la profession. « J’ai toujours été dans les ateliers, j’ai du mal à ne pas toucher les pièces. On devient ingénieur parce qu’on veut contribuer à faire des choses, on veut voir les pièces sortir. C’est un non-sens complet de dessiner un prototype et de le faire produire à des milliers de kilomètres. Le but de l’industrie est de rendre les meilleures idées accessibles au plus grand nombre », développe Hervé Bauduin.
« Notre rôle n’est pas assez reconnu alors que l’on produit chaque jour des choses qui simplifient la vie de tous. Notre vie quotidienne est envahie d’objets manufacturés. J’aimerais qu’on rende à l’industrie ce qu’on lui doit. Qu’on lui demande d’être la meilleure ok, mais qu’on arrête de l’assassiner. » Quand on l’écoute, on comprend pourquoi il est devenu président de l’UIMM pourquoi c’est lui que Jean Arnould avait choisi pour lui succéder il y a six ans. « Il a commencé à me préparer avant de me dire que j’avais été choisi », raconte Hervé Bauduin. On ne devient pas président de l’UIMM du jour au lendemain. « Il faut connaître beaucoup de choses et si possible avant d’être élu sinon vous passez la moitié de votre mandat à essayer de comprendre comment ça marche. » Les règles, les règlementations, les questions de formation, de rapports sociaux… Et une part de politique essentielle. « En tant que représentant des entreprises, c’est à vous que la stratégie revient. »
Durant ces six ans de mandat, il a été la voix de l’industrie lorraine, celui vers qui les regards politiques, médiatiques, économiques se tournaient à la moindre nouvelle relative à l’industrie. Il y a six ans, quand il a été élu président de l’UIMM, Hervé Bauduin était toujours en activité chez Claas, il a traversé son deuxième mandat au seuil de la retraite, toujours lancé mais il sait que désormais il est temps d’arrêter. Il a passé la main à Nathalie Vaxelaire, la présidente de la société Trane (qui conçoit, fabrique et commercialise des machines frigorifiques à Golbey dans les Vosges) le 4 avril dernier. Nouveau chapitre de sa vie qui se referme. Il n’y associe aucune nostalgie. Pas son truc. C’est un homme de l’instant, un optimiste. « Il n’existe pas une journée totalement mauvaise », philosophe-t-il. L’âge lui permet de prendre ce recul, de dire ce qu’il pense aussi. « Vous retrouvez une liberté de parole parce que vous n’avez plus rien à perdre. » Même s’il n’a jamais eu la langue dans sa poche, qu’il a toujours cherché à mettre en lumière son secteur d’activité déverrouillant les cellules où on cherchait trop souvent à l’enfermer. « J’aime avoir une vue systémique qui permet de remettre les choses à leur place. Je déteste le dogme et je le détesterai jusqu’à la fin de ma vie. » Que fera-t-il dès ce mois-ci ? « Rien », sourit-il. « Ceux qui me connaissent savent que c’est faux. C’est impossible pour moi. Je garderai quelques missions dans l’industrie, j’investirai pleinement mon rôle de grand-père, je m’occuperai de mon potager, je bricolerai, et je suis président du Fan art de Paul Flickinger. Je suis un admirateur de son œuvre, amateur d’art. » Cette passion est arrivée au mitan de sa vie, quand les enfants avaient grandi, et que le temps n’était pas une denrée rare. Avec son épouse, ils ont commencé un pèlerinage pour voir des œuvres en vrai : Guernica, Le jardin des délices, les demoiselles d’Avignon. Un choc à chaque fois. Et l’envie d’encore. « Ce virus s’attrape à grande vitesse. C’est un refuge. Je conçois mal ma vie sans art. » Et de citer Albert Camus : « Si ce monde était clair, l’art ne serait pas »
Aurélia Salinas